Notre enseignement des fondamentaux basiques du tango repose sur une compréhension plus profonde de ce que nous appelons le corps naturel par différence au corps socialisé. En fait, le tango argentin est l'occasion unique de découvrir à nouveaux notre corps naturel sous notre corps socialisé.
Nous habitons tous un corps individuel, notre corps propre, et notre tango sera toujours un tango individuel, original. Mais si nous considérons que les fondamentaux du mouvement sont les mêmes pour tous, enseigner ces bases pour tous, n'est-ce pas formater notre corps, normaliser notre danse, uniformiser le tango? La réponse réside dans la différence essentielle et les jeux complexes entre le corps naturel et le corps socialisé.
Voici les aspects basiques que nous développerons* :
*Notre approche de la pédagogie du tango, tout ce que nous présentons ici, est protégé par nos droits d'auteur, dont la version imprimée sera publiée ultérieurement.
Notre "corps individuel" est un mille-feuille, mélange de notre "corps socialisé" et notre "corps naturel".
Notre corps socialisé est composé de l'ensemble de nos habitudes acquises dans les pratiques sociales : comment on est assis à table dans cette famille, comment on est assis à l'école, comment on s'installe pour conduire une voiture, comment on monte sur un vélo, comment on est debout dans le métro, comment on est assis ou debout dans le travail, comment on est debout quand on fait la queue, etc. Nous n'avons pas tous la même façon de "se tenir" debout ou de s'assoir ou de rester assis, de bouger : toute habitude pratique est individuelle. Néanmoins, ces habitudes individuelles se sont formées dans des pratiques sociales, transmises dans la famille, l'école, le travail, le loisir, selon des schémas corporels préexistants.
Ces pratiques forment et déforment petit à petit, de l'intérieur, de l'enface à l'âge adulte, notre "corps naturel", qui, en principe, fut un jour à l'état pur, dans notre première enfance (sans parler d'une naissance qui peut mal se passer et, déjà, garder les premières traces d'une pratique médicale, l'intervention chirurgicale qui a été "nécessaire", etc.). Une fois que je suis né, le corps socialisé commence à se superposer sur mon corps naturel, comme une deuxième nature. Ce tissu complexe, tissé avec les années, par la rencontre entre moi et mon environnement avec ses multiples pratiques, cet enchevêtrement entre mon corps naturel et mon corps socialisé paraît inextricable.
Quel est le rapport entre l'apprentissage des fondamentaux du tango et notre corps naturel ?
Tout le travail sur les fondamentaux du mouvement et de la danse, est un travail qui cherche à libérer notre corps naturel. Le tango argentin apparaît ainsi comme une occasion unique de prendre conscience de son corps et de l'allure particulière de nos mouvements, la possibilité de libérer pas à pas notre corps naturel sous le corps socialisé.
En même temps, n'il y a-t-il pas un paradoxe : enseigner les mêmes fondamentaux pour tous, et vouloir ainsi libérer le corps individuel, propre à chacun ?
Le corps naturel n'est pas un corps naturel en général. C'est le corps naturel de chacun, dans ses dimensions individuelles, qu'il s'agit de retrouver sous notre corps socialisé. Le corps socialisé - nos habitudes de posture et de mouvement - n'est pas lui-même un corps socialisé en général. C'est "notre" corps socialisé, formé sous l'influence de schémas et de normes sociaux, mais en fonction des particularités individuelles de notre corps naturel et de notre évolution, de notre biographie, uniques.
Nous comprenons maintenant le défi que l'enseignement des fondamentaux pose à la professionalité et la finesse du pédagogue du tango argentin. Nous comprenons que des corrections sommaires ou même individualisées, nécessairement isolées, ne sont pas aptes à vraiment faire entrer l'apprenti tanguera/o dans une dynamique qui permet de défaire les réseaux qui tissent les liens profonds entre notre corps socialisé et notre corps individuel.